Article de Noël METTEY publié dans la Gazette de Monaco le 14 avril 2023 | Crédit photo : Frank Lobono © Conseil national
Hier soir, comme prévu, le Conseil national a voté le projet de loi 1070 instituant la CMRC, la Caisse Monégasque de Retraite Complémentaire. Une réforme majeure puisque les salariés de la Principauté adhérent actuellement et depuis 1965 au régime français de l’AGIRC-ARRCO, via l’AMRR, l’Association Monégasque de Retraite par Répartition.
Comme il a été rappelé, les réformes successives du régime de retraite complémentaire intervenues en France avaient conduit les partenaires sociaux monégasques (FEDEM et USM) à souhaiter la mise en place d’un régime spécifiquement monégasque. Cette volonté avait été exprimée par la signature d’un avenant à la Convention nationale collective du travail le 13 décembre 2013. Il aura donc fallu près de 10 ans pour mettre au point la création de la nouvelle Caisse et surtout les conditions de sortie du régime français.
Ainsi que le souligne dans son rapport le président de la CISAD, Frank Lobono : « Les employeurs et salariés du secteur privé à Monaco sont ainsi, à ce jour encore, affiliés au système de retraite complémentaire français de l’Association générale des institutions de retraites des cadres (AGIRC) et l’Association des régimes de retraite complémentaire des salariés (ARRCO), ces deux régimes ayant fusionné en 2019 (AGIRC-ARRCO). Le projet de loi prévoit que seuls les salariés exerçant à Monaco, toujours en activité au moment de la création de la CMRC, bénéficieront d’un transfert d’adhésion vers cette Caisse. Pour leur part, les retraités qui auront déjà liquidé leur retraite avant la création de la Caisse monégasque continueront à percevoir leur pension de l’AGIRC-ARRCO, dans les mêmes conditions qu’actuellement. Toutefois, afin de ne pas être pénalisés, ils pourront bénéficier d’une prestation de bonification, versée par la CMRC, destinée à compenser l’éventuel différentiel de revalorisation entre les points de l’AGIRC-ARRCO et les points de la CMRC ».
La finalisation du protocole
Précision et non des moindres : afin de financer le maintien des droits des retraités qui continueront à relever du régime de l’AGIRC-ARCCO, l’Etat monégasque s’est engagé à verser une soulte à l’entité française, elle sera fixée par la convention de sortie dont les élus se sont plaints d’ailleurs de ne pas avoir eu pleinement connaissance au moment du vote. Christophe Robino, conseiller de gouvernement-ministre des Affaires sociales et de la Santé, qui fut lui-même président de la CISAD dans la précédente législature, leur a répondu dans son intervention : « Cette soirée marque une étape indispensable dans la poursuite de ces discussions avec l’AGIRC-ARRCO par la création de la Caisse Monégasque de Retraite Complémentaire puisque cette création est une condition sine qua non pour la finalisation du protocole de sortie. C’est la raison pour laquelle, à ce stade, aucun accord n’a pu vous être communiqué, même si vous avez été informés des principaux éléments de cette négociation dans le cadre de nos échanges ».
Une meilleure pension de retraite complémentaire
La Caisse, souligne Frank Lobono, poursuit un double objectif : « Faire bénéficier aux salariés d’une meilleure pension de retraite complémentaire, tout en permettant, à terme, une baisse des cotisations versées par les employeurs et les salariés ». Le rapporteur poursuit : « Il s’agit donc d’une opération triplement gagnante, à la fois pour les salariés, pour les employeurs, et pour la Principauté elle-même, puisque la CMRC sera, sans nul doute, un élément de plus venant renforcer notre attractivité salariale. En outre, la commission se félicite de cette démarche, qui constitue un acte fort de souveraineté pour Monaco ».
Les conditions
Dans la pratique, comme il le résume, « le droit à pension de retraite complémentaire s’ouvrira, comme en CAR, à l’âge de 65 ans, sauf les hypothèses d’ouverture anticipée prévues par la loi. Cependant, à la différence de l’AGIRC-ARCCO qui ne prévoit pas de durée de cotisations minimale, il faudra désormais avoir exercé une activité salariée en Principauté pendant dix années pour ouvrir droit à pension de retraite complémentaire, puisque cette condition est prévue pour la retraite de base auprès de la CAR ».
Le projet de loi ne comporte pas moins de 47 articles et nombreux sont ceux à avoir fait l’objet d’échanges nourris entre le gouvernement et les élus pour parvenir le plus souvent à des amendements sur la forme mais parfois aussi sur le fonds. Les premiers articles traitent de la création de la CMRC, de ses modalités de gestion, de son contrôle, des missions du comité financier, de l’institution d’une commission d’Action sociale. Les pensions sont traitées dans un premier chapitre avec les situations des conjoints survivants ou des orphelins, le calcul des points de retraite… Le second chapitre est lui consacré aux cotisations, à leur répartition, aux plafonds des tranches et aux taux. Un chapitre 3 traite de la gestion technique tandis que les 4 et 5 abordent respectivement les dispositions diverses et transitoires. A noter que la loi s’appliquera le 1er janvier 2024 mais que les articles premier à six entreront en vigueur dès la publication de la loi au Journal de Monaco.
Les réserves de certains élus
Si ce projet de loi a été voté à l’unanimité, plusieurs élus ont fait part de leurs réserves lors du vote article par article. Ce fut le cas notamment de Christine Pasquier-Ciulla sur le thème de l’égalité. « Dans sa communication institutionnelle, le gouvernement affirme être particulièrement sensible à l’égalité des sexes et à la promotion de l’égalité. Toutefois, j’ai pu une nouvelle fois constater que cette égalité n’était pas forcément pleinement mise en œuvre dans nos textes. En effet, concernant ce projet de loi, certains échanges entre le gouvernement et le Conseil national ont porté sur l’opportunité de revoir les dispositions obsolètes du régime général prévu par la loi 445. Nous aurions dû profiter de cette opportunité pour effacer de la loi 445 toutes les dispositions inégalitaires en termes de sexe et toutes les dispositions genrées qui ne devraient plus y figurer ». Et elle poursuit : « En 2023 nous insérons dans la loi nouvelle des dispositions discriminatoires et genrées inacceptables et copiées d’un texte dépassé et frappé d’obsolescence ». Elle a donc voté symboliquement contre les articles 8, 10, 11, 12 et 13…
Frank Lobono a d’ailleurs évoqué cette problématique : « Au cours de l’étude de ce texte, plusieurs sujets sociaux voire sociétaux ont émergé, notamment en matière d’égalité. S’ils sont légitimes et passionnants pour ne pas dire passionnés, il m’appartenait de rester sur l’objet même du présent texte et de reporter à plus tard d’autres débats que nous saurons mener dans la concertation et avec raison ».
Une extrême complexité
Le président de la CISAD dans son intervention a surtout insisté sur la compléxité : « Ce texte est complexe car très technique, complexe car historique, complexe car social et complexe enfin car financier. La technicité de ce texte nous est immédiatement apparue et la présence des Caisses Sociales de Monaco dans la future gestion de la nouvelle caisse était un premier point de nature à nous rassurer ».
Pour sa part, Franck Julien, président de la commission des Finances et de l’Economie nationale, est revenu sur les débats qui ont eu lieu sur le taux majoré, indiquant que « la commission a souhaité maintenir son amendement (que ses collègues ont surnommé l’amendement Franck Julien, NDLR) , convaincue que l’existence même de la possibilité de revenir au taux majoré unique par le biais d’un accord négocié avec leur personnel pourra dans certaine situation, favoriser le dialogue social sur la nature des compensations ».
Une Souveraineté renforcée
De son côté, la présidente du Conseil national, Brigitte Boccone-Pagès, s’est réjouie du vote d’un projet de loi qui renforce la souveraineté monégasque. Elle a félicité Franck Lobono et remercié les membres du groupe de travail qui se sont penchés de manière approfondie sur ce texte à ses côtés à savoir Corinne Bertani, Franck Julien et Mikaël Palmaro.
Après le vote de ce texte, le Conseil national a approuvé la ratification de l’accord entre Luxembourg et Monaco sur l’hébergement de données et les systèmes d’information (projet de loi 1076) et modifié corrélativement les articles 7 et 8 du Code de procédure pénale.
Moneyval : nouveau projet de loi
Par ailleurs, dans le cadre des mesures liées à l’évaluation Moneyval, le gouvernement vient de déposer un nouveau projet de loi (n°1077) portant adaptation de dispositions législatives relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.